Dictée : Un magnifique paysage (2007)
L’eau du fleuve était lourde et jaune ; d’un côté de la nappe s’étendait une plaine couverte de joncs, refuge des caïmans. Au-delà, on apercevait la lisière sombre de la brousse aux mille dangers. Des oiseaux au vol pesant passaient en escadrilles au-dessus des roseaux, les effleurant de leurs ailes ; des marabouts, après avoir pêché abondamment dans les mares, s’élevaient à des hauteurs vertigineuses. Sur la rive droite dont le navire se rapprochait maintenant davantage, la brousse précipitait l’avalanche de ses arbres qui se bousculaient avec fougue pour atteindre le fleuve. Creusés par les eaux et malmenés par cette furieuse poussée, les palmiers se couchaient sur le fleuve, offrant leurs troncs rugueux au repos des jeunes caïmans ; leurs palmes abandonnées au courant semblaient des algues flottantes.
Ousmane SEMBENE - «Ô pays, mon beau peuple»

Dictée : Le retour des pêcheurs (2006)
Le soir, les pêcheurs revenaient de leur randonnée laborieuse. Ils avaient échappé une fois de plus, au piège mouvant de la mer. De simples lignes noires à l’horizon, les barques devenaient plus distinctes, les unes des autres, au fur et à mesure de leur approche. Elles dansaient dans les creux des vagues, puis se laissaient paresseusement drainer. Des pêcheurs descendaient gaîment(1) la voile et le matériel. Tandis que d’autres rassemblaient la moisson frétillante, certains tordaient leurs habits trempés et épongeaient leurs fronts. Sous les yeux émerveillés des bambins, les poissons vivants sautillaient, tandis que s’incurvaient les longs serpents de mer. Rien n’est plus beau qu’un poisson à la sortie de l’eau, avec son œil clair et frais, ses écailles dorées ou argentées et ses beaux reflets bleutés !
Mariama Bâ - «Une si longue lettre»
(1) * accepter aussi : gaiement

Dictée : La migration des oies sauvages (2005)
Elles s’étaient rassemblées dans une agitation sacrée, jetant des cris et battant des ailes, poussées par un mouvement incontrôlé. Depuis quelques semaines déjà, elles s’entraînaient à de longs périples pendant lesquels elles trompaient leur anxiété de partir. Ce qu’elles voulaient, c’était se donner un long congé au soleil avant de revenir dans ces régions ennuyeuses, pour y bâtir leur nid et assurer leur descendance. Elles connaissaient la dureté épuisante du voyage. Elles étaient conscientes que beaucoup ne survivraient pas, tuées par les chasseurs, dévorées par les requins ou assassinées par les éperviers qui suivraient inlassablement leur migration.
Henry de Montherlant - « Les Célibataires »
Dictée : La nuit du Coran (1992)
La maison était silencieuse. Le chevalier, étendu sur une chaise longue, dans la véranda, méditait. Les femmes groupées autour de la mère de famille, causaient à voix basse. Samba Diallo sortit doucement de sa chambre dans la cour, se promena de long en large, puis lentement, préluda la nuit du Coran qu’il offrait au chevalier. Sa voix à peine audible d’abord s’affermit et s’éleva par gradation. Progressivement, il sentit que l’envahissaient des sentiments comme il n’en avait jamais éprouvé auparavant. Toute parole avait cessé dans la maison. Le chevalier d’abord nonchalamment étendu, s’était dressé à la voix de Samba Diallo et il semblait maintenant qu’en entendant la parole, il subit la même lévitation qui exhaussait le maître. La mère s’était détachée du groupe des femmes et s’était rapprochée de son fils. De se sentir écouté ainsi par les deux êtres au monde qu’il aimait le plus, de savoir qu’en cette nuit enchantée, lui, Samba Diallo était en train de répéter pour son propre père, ce que, de génération en génération depuis des siècles, les fils des Diallobé avaient fait pour leur père, de savoir qu’il n’avait pas failli en ce qui le concernait et qu’il allait prouver à tous ceux-là qui l’écoutaient que les Diallobé ne mourraient pas en lui, Samba Diallo fut sur le point de défaillir. Mais il songea qu’il importait pour lui, plus que pour aucun autre de ceux qui l’avaient précédé, qu’il s’acquittât pleinement de sa nuit... Longtemps, dans la nuit, sa voix fut celle des fantômes aphones de ses ancêtres qu’il avait suscités.
Cheikh Hamidou KANE « l’Aventure Ambiguë »
Dictée : Mes parents (1995)
Ma mère était une créature bien heureusement douée. Ella se levait avec le soleil comme les oiseaux, auxquels elle ressemblait par l’industrie domestique, par l’instinct maternel, par un perpétuel besoin de chanter et par une sorte de grâce brusque que je sentais fort bien, tout enfant que j’étais. Elle était l’âme de la maison, qu’elle remplissait de son activité ordonnée et joyeuse. Mon père était aussi lent qu’elle était vive. Je me rappelle son visage placide sur lequel passait par moments un sourire ironique. Il était fatigué, et il aimait sa fatigue.
Assis près de la fenêtre, dans son grand fauteuil, il lisait du matin au soir, et c’est de lui que je tiens l’amour des livres.
J’ai dans ma bibliothèque deux livres qu’il a annotés de sa main d’un bout à l’autre. II ne fallait point espérer qu’il se mêlât de rien au monde. Quand ma mère essayait par des ruses gracieuses de le tirer de son repos, il hochait la tête avec cette douceur inexorable qui fait la force des caractères faibles. Il désespérait la pauvre femme, qui n’entrait pas du tout dans cette sagesse contemplative et ne comprenait de la vie que les soins quotidiens et le gai travail de chaque heure. Elle le croyait malade et craignait qu’il ne le devînt davantage. Mais son apathie avait une autre cause.
Anatole France (Le crime de Sylvestre Bonnard)

Dictée : Une tentative de suicide (1993)
Le souvenir des souffrances éprouvées et des rêves avortés me plongea aussitôt dans un découragement sans nom. Les rues de la ville étaient presque désertes. Sur les trottoirs, des mendiants étaient encore accroupis. Je déplorais leur pauvreté enviais leur sérénité. De loin me parvint une musique suave. Je m’approchai : sur une piste de danse, des jeunes gens se trémoussaient au milieu de vifs jeux de lumières. Cette douce féerie de rythmes et de couleurs n’arrivait guère à me dérider. Et puis, j’avais une de ces faims ! De tant d’êtres humains, pourquoi étais-je, moi seul, la cible de la fatalité ? L’idée de mettre fin à ma vie m’emplit soudain d’un profond soulagement. Des voitures passaient. J’eus un instant l’idée de me jeter sur la chaussée. Mais le choc n’était pas assez violent pour me gratifier d’une mort instantanée ! Et si par malheur je m’en tirais seulement avec de légères contusions ! Non ! Je voulais en finir au plus vite. Alors je résolus de me pendre haut et court. J’entrai dans une échoppe. Sur les rayons étaient rangés des rouleaux de corde qui me fascinaient. Je voulus en acheter quelques mètres. Hélas ! Le boutiquier me réclama un prix trop élevé. Je n’avais pas assez d’argent J’eus beau l’adjurer et le conjurer, il refusa de me consentir un rabais. Je sortis tristement, contraint de renoncer à mon suicide.
Oumar Sankharé, « La nuit et le jour »

Dictée : La chasse aux libellules (1994)
Je connais toutes les libellules qui hantent les après-midi ensoleillés de l’habitation : Les grosses, rouges comme des groseilles, ou marron clair, avec de belles ailes transparentes et droites, bien faites pour être pincées délicatement entre deux doigts. Les plus petites, brunes, aux ailes courtes, jaunâtres, ou traversées d’une raie noire, nerveuses celles-là, sensibles à l’approche de nos mains, farouches ! Enfin, plus aristocratiques, plus rares, les aiguilles si ténues et si légères qu’on distingue à peine la petite boule d’or fin qui en forme la tête et la gaze pervenche qui soutient leur vol. Nous savons que les grosses sont faciles à saisir et qu’il suffit de les laisser se poser et d’attendre qu’elles aient faiblement rabattu leurs ailes. Facile pour moi, qui sais marcher sur la pointe des pieds, sans faire de faux pas, et qui possède l’art d’étouffer en marchant le crissement des feuilles sèches. Moi qui sais juger infailliblement à quelle distance et à quel moment il faut s’arrêter, allonger la main et tendre tout le corps en souplesse, pour refermer le pouce et l’index sur les ailes de la bestiole au repos. Facile pour moi, qui sais, sur une branche bien garnie, saisir une libellule de chaque main, presque en même temps.
Quoi qu’il en soit, celles-là sont les premières que les novices réussissent à tenir. Tandis qu’il faut un doigté et une belle expérience pour les ailes courtes qui, nerveuses, méfiantes, restent toujours relevées, à s’envoler au moindre bruissement, à l’approche la plus cauteleuse. On réussit quand même parfois.
Joseph Zobel « La Rue Case-Nègre »
Source: http://examen.sn/spip.php?rubrique134 |